Planchers dalles post-contraintes : une solution innovante pour la construction au Maroc
Les planchers dalles post-contraintes représentent une avancée technologique majeure dans le domaine de la construction. Plus légers, plus performants et offrant une plus grande liberté architecturale, ils séduisent de plus en plus de professionnels. Dans cet entretien, M. Trinh, expert en la matière, nous dévoile les spécificités de cette technique, ses avantages, ainsi que les points clés à surveiller lors de la vérification d’un projet. Il aborde également l’importance du contrôle technique et de la coordination SPS pour garantir la sécurité et la qualité des ouvrages.
TRINH, vous avez été contrôleur technique en France?
Jacques Long Trinh: Effectivement, j’ai été, pendant plus qu’une quinzaine d’années consultant senior dans la société de contrôle technique CETEN APAVE International. J’arrivais dans la profession à l’époque où le contrôle technique employait des ingénieurs disposant d’une certaine expérience dans le domaine de la construction.
J’avais auparavant passé 27 ans en R&D des structures innovantes notamment en béton, de diagnostic des ouvrages existants pathologiques au Centre Expérimentale du Bâtiment et des Travaux Publics CEBTP, et de participation à l’élaboration de la normalisation européenne dans le cadre des futurs Eurocodes.
Pourriez-vous nous présenter en grandes lignes l’application du contrôle technique en France ?
Jacques Long Trinh:
- El BAHLOUL vous a dépeint la situation au Maroc. L’esprit est assez semblable à celui dans l’espace Union Européenne UE, mise à part l’existence d’un cadre de normalisation des produits et de la conception de la construction, et le marquage CE des produits, en outre d’une loi afférente.
L’activité du contrôle technique en France, est fondée sur la loi du 4 janvier 1978 (n°78-12, titre II, art. 8) désignée communément loi Spinetta. Essentielle dans le domaine de la construction, elle concerne la responsabilité et l’assurance construction qu’elle généralise en rendant la souscription obligatoire de deux assurances construction : l’assurance dommages-ouvrage souscrite par le maître d’ouvrage et l’assurance décennale que doit souscrire le constructeur.
En pratique, le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d’être rencontrés dans la réalisation des ouvrages neufs, de travaux de rénovation ou d’extension et de réhabilitation d’envergure. Il intervient à la demande du maître de l’ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d’ordre technique. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l’ouvrage et la sécurité des travailleurs,ce dernier point est étendu ensuite à la coordination SPS.
Les principales visées de la loi, sont de :
– réparer rapidement les dommages subis par le maitre d’ouvrage du projet grâce à un processus simplifié d’indemnisation complète ;
– offrir une protection étendue dans la durée (10 ans) ;
– améliorer la qualité des ouvrages ;
– encourager la prise de responsabilité des parties prenantes au projet ;
– automatiser le processus d’indemnisation en cas de sinistre et sanctionner les responsables.
Vous avez mentionné la mission de coordination de sécurité et de protection de la santé SPS. Comment se situe-t-elle, rapport à celle du contrôle technique de la construction
Jacques Long Trinh: C’était la directive européenne 92/57/CEE du 24 juin 1992, qui a instauré le principe d’une coordination de sécurité-santé dans le secteur de la construction. Le concept fut transposé en droit français dans le Code du travail, les dispositions des articles R.4532-11 à 16 encadrent la mission du coordonnateur SPS. L’objectif est de réduire l’accidentologie des chantiers, elle se déploie sur les chantiers lorsque plusieurs entreprises interviennent, des travailleurs indépendants et des sous-traitants. La mission est obligatoire pour le maître d’ouvrage de certains chantiers de bâtiment ou de génie civil,clos et indépendants.
Le coordonnateur SPS a néanmoins un rôle dès la conception du projet, veiller à l’intégration des principes généraux de prévention dans les choix architecturaux, techniques et organisationnels. A savoir :
– définir les mesures de prévention pour les interventions simultanées ou successives ;
– prévenir les risques liés à la coactivité ;
– définir la mise en commun des moyens et de faciliter les interventions ultérieures sur l’ouvrage.
Certains aspects de la mission SPS, pourraient relever de la mission du contrôleur technique. En Europe, les deux missions sont bien séparées.
– En phase d’exécution, c’est de s’assurer la mise en application des mesures définies dans ses documents.
Comment décrivez-vous le concept des planchers dalles post-contraintes ?
Jacques Long Trinh: Nous revenons ici sur les grandes lignes exposées à la journée d’étude du Contrôle technique du 23 Janvier2025 à Casablanca
Les deux techniques principales pour précontraindre les structures en béton sont :
– la post-tension, selon laquelle le récent béton est comprimé lorsqu’il a acquis une résistance suffisante ;
– la pré-tension ou précontrainte par adhérence, réalisée avec des fils ou torons nus. Ces aciers sont préalablement prétendus dans des installations fixes (coffrage et banc de traction), autour desquels est coulé du béton frais. Après l’atteinte d’une certaine résistance du béton, la traction dans l’armature est relâchée par ses deux extrémités, Prise dans le béton, l’empêchement du raccourcissement se traduit par une mise en compression du béton par le jeu de l’adhérence de l’acier au béton. La méthode est fréquente en France dans la préfabrication des poutres, poutrelles, dalles, prédalles … pour les bâtiments.
La première méthode post-tension se rencontre en bâtiments dans des cas particuliers où de puissantes unités de précontrainte servent à réaliser de grandes poutres, de planchers de reprise… lorsque les possibilités du béton armé classique sont épuisées dans la vérification des exigences du bon comportement en service de l’ouvrage, la limitation en déflexion (flèche) et l’apparition de la fissuration en service normal. Ces situations font appel à des fortes précontraintes des travaux publics.
Ces exigences peuvent être avantageusement résolues dans les ouvrages courants, planchers de parking, de bureaux, de grands magasins… un minimum de précontrainte du fait des faibles niveaux des charges et des portées rencontrées. Par ailleurs, les fournisseurs des matériels de précontrainte ont développé des systèmes de précontrainte appropriés, plus légers rendant les opérations en sites moins pénibles. Les procédés sont dûment certifiés tant en robustesse qu’en sécurité d’emploi.
Deux techniques sont envisagées en utilisant comme armature active, le toron constitué de 7 fils (fig. 2a).
– Utilisé nu, à enfiler dans de gaine annelée liée à la cage de ferraillage passif, gaine circulaire ou plate en cas de plusieurs torons groupés, au plus 4. La gaine est ensuite injectée :
- i) de coulis de ciment durcissant à fins d’assurer son adhérence au béton et la protection de l’acier ;
- ii) ou d’un produit souple (graisse ou cire) au titre de la protection, opérations plutôt délicates nécessitant des matériels spéciaux, blocs d’ancrage avec évents.
– Le monotoron gainé graissé, comme unité de l’armature active, préparé en usine et déjà protégé (fig.2b). Cetteunité légère et souple, est aisée à mettre en œuvre en chantier.
La méthode de réalisation des dalles a été largement expérimentée dans certains pays d’Europe, en plancher-dalle plate reposant soit directement sur des poteaux, ou par l’intermédiaire de chapiteaux, ou de files de poutres parallèles ou de réseau de poutres croisées. L’épaisseur est délimitée plus par le risque de poinçonnement sous des charges concentrées que de la déformation inadmissible ou de la fissuration, lorsque l’exigence d’isolation phonique n’est pas plus déterminante.
- a) Latechniqueouvre davantage le champ de la conception structurale de l’ouvrage.
– La nécessité d’une mise de précontrainte au plus tôt possible, requiert un béton de performances plus élevées (au moins C40environ)qu’en bâtiments courants. Ce qui permet d’augmenter le niveau des contraintes limites de calcul, notamment en admettant un dimensionnement à l’état-limite de service une faible traction du béton sans risquer sa fissuration. Il serait ainsi possible de concevoir des dalles plus légères et la possibilité de franchir de plus grandes portées qu’une solution du béton armé seul, en conséquence aussi moins de joints de dilatation.
– En outre, l’emploi des câblages ondulés, dans les zones à courbure orientée vers le haut, apparaissent des poussées verticales ascendantes, pouvant équilibrer en partie les effets des actions gravitaires, permanentes, descendantes (poids propres de la dalle).
– Le ferraillage passif pour la reprise de la résistance (état limite ultime) peut être aussi moins dense, tout en restant au-dessus du minimum requis.
En revanche, le dossier du projet est plus détaillé, il faut prévoir les phasages de précontrainte avec l’avancement du bétonnage et les calculs adaptés à chaque étape.
- b) En chantier, même si la légèreté des matériels de la précontrainte facilite les opérations de précontrainte associée à un ferraillage passif moins serré, par rapport à celle usuelle de béton armé, l’organisation est plus rigoureuse ainsi que le besoin d’un personnel plus qualifié pour la précontrainte,cela reste cependant moins complexe qu’un chantier précontraint de travaux publics.
Quels sont les points importants à souligner à un jeune contrôleur dans la vérification d’un projet de précontrainte du plancher dalle.
Jacques Long Trinh: Le BTP est connu comme un secteur particulièrement accidentogène, l’emploi d’une précontrainte ne l’accentue pas dans la mesure où les règles de l’art formalisées sont suivies strictement, ainsi que sont appliquées les recommandations pour une attention particulière à l’exécution. Dans le contexte de la normalisation de la construction dans l’UE,des règles sont prescrites aux trois niveaux :conception, assurance de fiabilité des produits et des matériels puis mesures de sécurité à l’exécution.
- a) Conception.
Concernant le plancher-dalle en béton, il est couvert par les normes européennes de dimensionnement :
-EN 1990 (Bases de calcul des structures) et l’EN 1991 (Actions sur les structures) ;
– et, plus particulièrement par les normes béton EN 1992-1-1 et EN 1992-1-2,qui donnent respectivement des règles de justification de la résistance à froid et au feu, dans les conditions de servicedu bâtiment.
En complément de ces informations, les calculs doivent utiliser les valeurs spécifiées des paramètres du dossier ÉTE(évaluation technique européenne) des procédés de précontrainte en cause. A titre informatif, ci-joint quelques sujets qui sont pris en compte :
– qualité minimale du béton au niveau de la classe C40, ainsi est défini le minimum moyen de résistance fcm,0 , à respecter lors de la mise en tension ;
– propriétés mécaniques des aciers de précontrainte torons T15 ou T15S, en précisant sa classe de relaxation ;
– valeurs des coefficients de frottement k et ( nécessaires à l’estimation des pertes instantanées de tension et celle de la rentrée d’ancrage, à la mise en tension ;
– description détaillée du système de précontrainte retenu, avec une liste exhaustive des composants (ancrages, gaine, évents d’injection le cas échéant, frettage sous ancrage…), avec leurs caractéristiques dimensionnelles ;
– dispositions constructives relatives à la pose des câbles selon le tracé théorique escompté dans la cage du ferraillage passif, du positionnement des ancrages (entr’axe, enrobage, fixation…) ;
– ferraillage minimal en flexion selon la norme EN 1992-1-1, pour pallier le risque de rupture fragile ;
– vérifier le cas échéant la résistance en fatigue selon les dispositions particulières du marché (DPM) ;
Encadré
- b) Produits.
Dans l’UE, l’assurance de la fiabilité et de la constante des caractéristiques,est ainsi considérée. Pour les procédésbénéficiant du marquage CEse reporter aux propos précédents. Les produits innovants doivent subir une évaluation technique comme l’ÉTE, puis être marqués CE par un organique notifié, ASPQE en France.
Sinon, on peut s’inspirer de certainesconsignesdes dossiers de l’ÉTE,indiquées ici à titre informatif.
– Adéquation du système au choix du BET de la précontrainte intérieure adhérente, ou non adhérentesi la possibilité d’un remplacement est recherchée.
– Compatibilité totale des composants, câbles avec ancrages, câble avec coupleur, produit de protection avec la pérennitéde l’acier, ….
– Information sur les caractéristiques géométriques et dimensionnelles des composants du système choisi, notamment la ductilité suffisante de la liaison armature/ancrage, allongement à la rupture des assemblages est supérieure ou égale à 2 %.
– Information sur les dispositions constructives, longueur libre à respecter derrière l’ancrage, espace d’accès encombrement des vérins, ancrage mobiles ou fixes, …
– Type de produit d’injection, non délétère pour l’acier actif.
– Recommandations, sur le transport, le stockage, la manutention, …
- c) Contrôle chantier.
Comme précédemment indiqué, dans le cas de procédé bénéficiant du marquageeuropéen CEon doit respecter les consignes afférentes.A l’absence,suivre les instructions du fournisseur local du système de la précontrainte en cause tout en jugeant de leur pertinence par comparaison à des recommandations spécialesdes dossiers de l’ÉTE. A titre informatif certaines sont indiquées ici,en plus des consignes déjà soulignées.
– Entr’axe et protection des ancrages, en fonction dela compression minimale fcm,0effective.
– Vérification de la conformité des éléments au systèmechoisi au départ et la totale compatibilité entre lesdifférents composants reçus
– Respect des dispositions constructives, longueur libre derrière l’ancrage actif du fait de l’encombrement du vérin, entr’axe et protection des ancragesmobiles ou actifs et coupleurs rigidement fixés au coffrage fonction de fcm,0, fixation rigide des ancrages au coffrage ou autres, …
– Respect de la courbure minimale admise selon le type de gaine reçue, dispositif de maintien des excentricités…
– Présence de frettage derrière l’ancrage,ferraillage défini par le système particulier en fonction de la résistance fcm,0 du béton à la mise en tension,
– Vérification de la qualité dutransport, du stockage, de la manutention, …