Le préjudice en responsabilité civile en construction et les difficultés de sa mise en jeu (II/IV)
Conditions de réparation du dommage
Tous les dommages ne sont pas réparables. Deux cas se présentent dans cette catégorie de non possibilité de réparation du dommage : Activité illicite et activité licite.
- 1 – Prise en charge du dommage selon le type d’activité
Selon la caractéristique de l’activité de l’assuré, l’assureur peut prendre en charge ou rejeter le sinistre :
– Cas d’activité illicite : Les dommages survenus à une personne pratiquant une activité illicite n’est pas réparable. L’exemple pouvant illustrer cette situation est celle du cas d’un incendie criminel détruisant une salle de jeux illégale. Le propriétaire de la salle de jeux ne pourrait pas être indemnisé par son assureur.
– Cas d’activité licite : Certains dommages licites ne sont pas réparables. C’est notamment le cas d’un commerçant qui souffrirait de la concurrence loyale d’un autre commerçant. Il existe donc certaines conditions générales pour déclarer un dommage réparable mais ces conditions ne sont pas sans poser des problèmes d’application.
On retrouve ici la théorie du risque prônée et défendue par la doctrine et selon laquelle celui qui exerce une activité faisant courir un risque à autrui est tenu de réparer les dommages qu’elle cause, même en l’absence de comportement moralement répréhensible.
- 2 – Conditions d’indemnisation du dommage
Afin que le dommage soit à la charge du présumé responsable et qu’il soit en soit débiteur, son indemnisation est conditionnée[1] par les paramètres suivants :
- La survenance du dommage doit être certaine. Dans ce cas, deux situations pourraient se présenter :
- ou que le dommage soit effectivement réalisé[2];
- ou que le dommage se réalisera certainement dans le temps.
Dans ce dernier cas de figure, on parlera de responsabilité préventive. C’est le cas par exemple d’un mur de clôture qui menace ruine et qu’en cas de réalisation de son écroulement, le voisinage pourrait être touché[3]. Mais il y a lieu de remarquer que le risque d’écroulement est certain et sa survenance n’est que fonction du temps et non de sa réalisation effective[4].
Il existe aussi la notion de dommage probable dont la survenance n’est pas effective mais probable et incertaine. Dans ce cas, il est rare que les tribunaux s’expriment en faveur du demandeur : cas d’une femme enceinte qui reçoit un coup sur son ventre alors qu’il n’est pas sûr que le fœtus qu’elle porte dans son ventre soit affecté par le coup reçu ;
- Le dommage devrait affecter un droit ou atteindre un intérêt légal du tiers lésé ;
- Le dommage doit être personnel : En d’autres termes, le dommage réclamé devrait atteindre le demandeur personnellement ;
- La réparation du dommage devrait être réclamée pour la première fois : La réparation ne peut être faite plus d’une fois relativement au même litige.
L’indemnisation de la réparation dépend aussi de l’état initial de la chose endommagée avant la survenance de l’accident[5].
- 3 – Différents types de préjudices
Le préjudice subi par le tiers lésé peut se manifester de différentes manières :
- Préjudice matériel : Dommage affectant les biens ou le patrimoine de la victime ;
- Préjudice moral : Droit extrapatrimonial c’est le cas par exemple d’un préjudice subi suite au décès d’un parent cher, atteinte à l’honneur, atteinte à l’image de marque, etc. ;
- Préjudice corporel : C’est le cas d’atteinte à l’intégrité physique d’un individu. L’indemnisation de ce genre de préjudice ; lorsqu’elle est octroyée ; doit régler non seulement le dommage principal mais également ses conséquences et séquelles naissantes du dommage corporel : frais engagés du fait du préjudice subi, tel que frais médicaux, d’hospitalisation ou de rééducation, ainsi que les pertes de gain ou de revenu qui s’en suivent.
Actuellement, la tendance jurisprudentielle se dirigerait vers une extension de l’indemnisation à d’autres types de dommages :
- Préjudice esthétique ;
- Pretium doloris[6] ;
- Dommages immatériels consécutifs ou non à des dommages matériels.
Les assureurs définissent les dommages immatériels comme « Tout préjudice pécuniaire résultant de la privation de jouissance d’un droit, de l’interruption d’un service rendu par une personne ou par un bien meuble ou immeuble ou de la perte d’un bénéfice et qui entraîne directement la survenance de dommages corporels ou matériels garantis ». Certaines doctrines préfèrent le terme « dommages pécuniaires » au terme « dommages immatériels » pour deux raisons :
- Le terme de « immatériels » est obscur pour les assurés ;
- Ce mot n’a aucune définition juridique dans plusieurs pays.
Après analyse, nous constatons que, ni le code des assurances ni le DOC Marocains ne renferment le mot immatériel. Par contre le mot « pécuniaire » est rencontré dans l’article 1100[7] du DOC mais n’a pas la même signification que le mot « immatériel » utilisé par les assureurs. En fait l’expression « intérêt pécuniaire » dans l’article 1100 ; cité ci-dessus ; signifie le dédommagement financier ou encore « le dédommagement en nature ». Par ailleurs, une seule fois le mot « pécuniaire » est utilisé dans l’article 62[8] du code des assurances.
Quant au code des assurances Français, il ne fait référence au mot « immatériel » qu’une seule fois dans son article L 126-2[9] de sa partie législative.
Aux termes de cette analyse, contrairement à ce qui a été avancé par certaines doctrines sur la préférence du mot « pécuniaire » au mot « immatériel » nous considérons que le mot « immatériel » est mieux adapté et le retiendrons dans ce qui suit.
[1] JABBAR Saber Taha, أساس المسؤولية المدنية عن العمل غير المشروع بين الخطأ والضرر , Traduction Libre: La base de la responsabilité civile pour le travail illicite entre la faute et le préjudice , Le Caire, DAR AL KOUTOUB AL KANOUNIYA – DAR CHATAT, 2010, P 128
[2] Fra Cr Cas Ch Civ 3ème Ar N° 563 du 21 mai 2008 – Trouble de voisinage : dommage causé par la poussière
[3] Fra Cr Cas Ch Com Ar N° 08-22073 du 23 Mars 2010 – Mur Mitoyen menaçant ruine
[4] Mar Cr Sup Ar N° 5234 du 21 Décembre 2010 Dossier N° 1502/1/6/2010 – Construction vétuste menaçant la vie des locataires.
[5] Bel Cr Ap Bruxelles Ar N° 94-AR-1382 du 23 Juin 1999 – Réduction de l’indemnité à la charge du responsable au vu de la fragilité de la maison mitoyenne objet du litige.
[6] « Pretium doloris » est une expression d’allure latine désignant la réparation, sous la forme d’une compensation financière, à laquelle la victime peut prétendre pour les souffrances permanentes ou non permanentes qu’elle a ou qu’elle va continuer à supporter suite aux blessures qui lui ont été occasionnées. Il en est ainsi, que ces souffrances aient été ou non la conséquence directe ou indirecte (interventions chirurgicales) d’un fait accidentel ou à de mauvais traitements dont l’auteur des dommages doit répondre. Cette réparation se cumule avec l’indemnisation des autres chefs de préjudice tels que le préjudice physique, le préjudice moral, ou le préjudice esthétique.
V Fra Cd Civ, Art 1382 et suivants
V Fra Cd Sécur Soc : Art L376-1, L454-1, L461-2, R524-3, R351-23, R815-22, L176-1, L461-5, L241-5-1, L371-5, L412-1, L413-1, L413-3, L413-6, L413-13, L434-17, L437-1, L443-1, L451-1
[7] Mar DOC Art 1100 stipule: « On ne peut transiger sur une question d’état ou d’ordre public, ou sur les autres droits personnels qui ne font pas objet de commerce ; mais on peut transiger sur l’intérêt pécuniaire qui résulte d’une question d’état ou d’un délit. »
[8] Art 62 Cd Ass Marocain stipule : L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé ou ses ayants droit tout ou partie de la somme due par lui, dans les limites de la garantie prévue au contrat, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré.
[9] Fra Cd As Art l126-2 stipule : « Les contrats d’assurance garantissant les dommages d’incendie à des biens situés sur le territoire national ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur ouvrent droit à la garantie de l’assuré pour les dommages matériels directs causés aux biens assurés par un attentat ou un acte de terrorisme tel que défini par les articles 421-1 et 421-2 du code pénal subis sur le territoire national. La réparation des dommages matériels, y compris les frais de décontamination, et la réparation des dommages immatériels consécutifs à ces dommages sont couvertes dans les limites de franchise et de plafond fixées au contrat au titre de la garantie incendie. Etc. »
Mohamed Jamal BENNOUNA Ingénieur
Expert et Docteur en Droit
Professeur associé au CNAM Paris – UIR – ISCAE – EHTP
Email : [email protected]