Le concept d’aléa en assurance (Troisième Partie)

3 – Concept juridique de l’aléa

L’entrée du concept de l’aléa ; simple incertitude au sens commun ; dans la sphère juridique s’est accompagnée d’une spécialisation marquée de sa définition au travers du prisme de la matière contractuelle. Appréhendé de manière étroite par le Code civil français dans son article 1964 à travers la catégorie des contrats aléatoires, l’aléa prend une coloration singulière, quittant ainsi sa place de simple synonyme de la contingence, il accède à celle, plus technique et plus affinée, de notion juridique.

Par contre, autant le code civil que le code des assurances marocains sont restés muet sur cet aspect d’aléa de la police d’assurance.

D’ailleurs, on ne trouve le mot aléatoire dans le code des assurances marocain que dans un seul article qui concerne la gestion des risques assurés par les compagnies d’assurance :

« Article 239 : Les entreprises d’assurances et de réassurance doivent, en complément des provisions techniques, justifier, à tout moment, de l’existence d’une marge de solvabilité destinée à faire face aux risques de l’exploitation propres au caractère aléatoire des opérations d’assurances. »

Le DOC, quant à lui, il définit implicitement les contrats aléatoires dans l’article 1092 du huitième chapitre intitulé « les contrats aléatoires » par l’exclusion. Cet article dispose :

« Toute obligation ayant pour cause une dette de jeu ou un pari est nulle de plein droit. »

En d’autres termes, le DOC utilise un raisonnement par la négation en définissant implicitement que seules les dettes de jeu et les paris sont réputés aléatoires. Idem, aucun mot sur la police d’assurance en qualité de contrat aléatoire.

Le code des assurances n’en fait pas mieux. Il n’utilise le mot aléatoire que dans un seul article qu’est l’article 239 précédemment cité.

Nous pouvons conclure que ni le DOC, ni le code des assurances ne donnent une définition précise quant aux concepts de « l’aléa » et de « l’aléatoire » qui caractérisent la police d’assurance.

4 – L’aléa dans le contrat d’assurance

La validité du contrat d’assurance est assujettie à l’existence de l’aléa[1]. À ce propos, la cour de cassation française souligne que « l’aléa constitue l’essence même du contrat d’assurance », ou encore que « le contrat d’assurance est par nature aléatoire »[2]. Par ailleurs, elle précise que la connaissance préalable de la réalisation du risque par l’assuré annule l’effet du contrat : « Aussi ce contrat ne peut-il porter sur un risque que l’assuré sait déjà réalisé »[3].

De ce fait, le sinistre ne peut être couvert par la police d’assurance que s’il revêt le caractère aléatoire et non connu d’avance par l’assuré.

L’essence d’un contrat aléatoire ne résiderait pas dans la chance de gain ou de perte mais dans l’impossibilité de connaitre à l’avance l’avantage escompté du contrat[4].

Par ailleurs, si l’organisation économique des assurances a ainsi un but final anti-aléatoire, le contrat d’assurance n’en reste pas moins juridiquement aléatoire[5].

Le caractère aléatoire que doit revêtir le contrat d’assurance se prolonge d’ailleurs dans la phase d’exécution[6] : la survenance du risque doit être due au hasard et non à la volonté d’une partie comme en dispose  l’article 17 du code des assurances marocain[7] ainsi que l’article L. 113-1 du code des assurances français[8]

5 – L’élément matériel de l’aléa

L’élément matériel de l’aléa se définit par l’incertitude affectant un événement pouvant se produire dans l’avenir. L’élément matériel de l’aléa, à savoir un « événement incertain « envisagé par les cocontractants au moment de la conclusion du contrat, se trouve particulièrement mis en exergue par les articles 1104[9] et 1964[10] du Code civil français. L’incertitude, source du caractère aléatoire de l’événement ainsi prévu par les parties, peut être discernée dans divers aspects de ce dernier. Elle peut avoir pour objet la survenance même d’un événement à la consistance indéterminée (par exemple la réalisation même d’un sinistre d’une certaine importance dans le contrat d’assurance, ou encore la révélation de l’identité reconnue de l’auteur d’une œuvre vendue sous l’empire d’un doute relatif à son authenticité) ou bien affecter simplement la date d’un événement dont la réalisation future ne fait aucun doute par ailleurs (comme c’est le cas, en matière de vente d’un bien contre le versement d’une rente viagère, pour le décès du crédirentier).

Si l’objet de l’aléa peut ainsi être binaire, l’incertitude qui l’affecte doit en revanche être unitaire, en ce sens qu’un seul et même événement doit avoir présidé à la conclusion du contrat pour les deux parties.

Toutefois, qu’il porte sur la survenance même de l’événement ou sur la date de celui-ci, l’aléa envisagé par les parties et caractérisant le contrat aléatoire doit exister lors de la conclusion de ce dernier et reposer tout entier, en cours de contrat, sur le hasard et l’incertitude.

[1] Rapport annuel de la cour de cassation française 2011 – Troisième partie : Etude : Le risque – LIVRE 2. La charge du risque répartie – Titre 1. Répartition de la charge du risque par mutualisation entre les membres de groupes déterminés privés – Chapitre 1. Droit

[2] Fra Cass Ch Civ 2ème., 7 Octobre 2010, Prv N° 10-30.233 ; Ch Civ 2ème., 1er juillet 2010, Prv N° 09-10.590, Bul.2010, II, N°129 ; Ch Civ 3ème., 10 Octobre 2007, Prv N° 06-11.129 et N° 06-14.205

[3] Fra Ch Civ 1ère, 4 Novembre 2003, Prv N° 01-14.942, Bul 2003, I, N° 220.

[4] MAYAUX (L), Les grandes questions du droit des assurances, Paris, LGDJ LEXTENSO EDITIONS, 2011, P 25.

[5] PICARD et BESSON, Les assurances terrestres, T1, Le contrat d’assurance, LGDJ, 5ème éd, 1982, N° 42, P 67.

[6] CHAGNY (M), PERDRIX (L), Droit des assurances, Paris, LGDJ LEXTENSO ÉDITIONS, 2ème éd, 2013, P 76.

[7] Art 17 : « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans le contrat. Toutefois, l’assureur ne répond pas, nonobstant toute convention contraire, des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »

[8] Art L. 113-1 alinéa 2 : « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré »

[9] Art 1104 : « […] Lorsque l’équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d’après un événement incertain, le contrat est aléatoire. »

[10] Art 1964 : « Le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tels sont :Le contrat d’assurance, Le jeu et le pari, Le contrat de rente viagère. »

Mohamed Jamal BENNOUNA Ingénieur

Expert et Docteur en Droit

Professeur associé au CNAM – Paris Email :

[email protected]

 

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