« Construire durable au Maroc : entre défis techniques et innovations accessibles »
Lakhouit : Le logement économique doit sortir du modèle figé
Dans cet entretien exclusif avec BTPnews, Dr Abderrahim Lakhouit, professeur associé en génie civil à l’Université de Tabuk (Arabie Saoudite) et expert en génie géoenvironnemental, partage sa vision sur les matériaux de construction durables. Il revient sur les enjeux de l’innovation dans le secteur des logements économiques au Maroc, en s’appuyant sur ses travaux de recherche et son expertise en intégration de l’intelligence artificielle dans les procédés de construction.
Le béton géopolymère est de plus en plus cité comme alternative durable au béton traditionnel. Ce type de béton est-il déjà utilisé dans la construction des logements économiques au Maroc ?
Non, pas encore. Bien que le béton géopolymère soit une solution prometteuse pour réduire les émissions de CO₂ et valoriser les déchets industriels, il n’est pas intégré dans la construction des logements économiques au Maroc. Plusieurs raisons expliquent cela : la rareté des matériaux de base comme les cendres volantes, l’absence de normes locales spécifiques, et surtout un manque de formation et de sensibilisation dans le secteur du BTP.Les matériaux isolants modernes comme les panneaux en polyuréthane ou les fibres de bois sont utilisés pour améliorer l’efficacité énergétique. Sont-ils courants dans les projets marocains ?
L’usage reste très limité, en particulier dans les logements économiques. Ces matériaux, bien que très performants, coûtent plus cher et ne sont pas imposés par la réglementation. En Europe, leur généralisation a été soutenue par des normes strictes. Au Maroc, il faut encore mener des recherches pour adapter ces technologies au climat local et réduire leur coût via des alternatives locales.L’acier à haute résistance permettrait d’optimiser les quantités utilisées tout en conservant la solidité des structures. Ce matériau pourrait-il être intégré dans les logements à bas coût ?
Oui, c’est une piste tout à fait pertinente. Même si l’investissement initial est plus élevé, les gains à long terme en matière de durabilité et de réduction des matériaux sont réels. Des études spécifiques au contexte marocain sont toutefois nécessaires pour valider sa viabilité économique dans ce type de projets.Dans les zones urbaines polluées, les matériaux photocatalytiques sont envisagés pour purifier l’air. Quel potentiel voyez-vous pour leur intégration au Maroc ?
Le potentiel est important, notamment en zone urbaine. Ces matériaux, capables de décomposer les polluants grâce à la lumière, peuvent être utilisés dans les façades ou les pavés. Mais là aussi, le coût initial et l’absence d’études sur leur cycle de vie posent problème. Une approche durable exigerait d’envisager leur recyclabilité et leur intégration dans une stratégie globale de construction propre.Les briques en terre cuite modernisées sont réputées pour leurs propriétés thermiques et acoustiques. Sont-elles utilisées dans l’habitat économique ?
Très peu. Bien que performantes, les briques en terre cuite sont encore éclipsées par les blocs de béton, plus économiques et disponibles. Pourtant, leur potentiel mérite d’être exploré à travers des études de performance et des incitations à la production locale. Ce matériau ancien pourrait bien répondre aux enjeux d’efficacité énergétique et de confort.L’intégration des panneaux solaires dans les matériaux de construction représente une avancée majeure. Où en est le Maroc dans ce domaine, notamment dans les logements à faible coût ?
L’intégration reste marginale. Quelques projets pilotes existent, soutenus par des programmes publics ou des partenariats internationaux, mais l’usage généralisé des panneaux solaires dans les logements économiques n’est pas encore une réalité. Le coût reste un frein majeur, tout comme l’absence de mécanismes d’incitation.L’intelligence artificielle peut-elle jouer un rôle concret dans l’optimisation de la construction au Maroc ?
Absolument. L’IA peut optimiser la gestion des déchets, améliorer la modélisation des sols ou encore prédire les performances énergétiques d’un bâtiment. Au Maroc, cette technologie pourrait transformer la manière de concevoir les logements, à condition d’intégrer la recherche scientifique dans les politiques publiques du BTP.Quels freins réglementaires empêchent selon vous l’introduction de matériaux innovants dans les projets de logement économique ?
Le principal frein est l’absence de normes adaptées. Les règlements de construction au Maroc restent centrés sur des matériaux traditionnels. Cela crée une incertitude réglementaire qui décourage l’innovation. Il est urgent de mettre en place un cadre normatif permettant d’intégrer les matériaux écologiques.Quelle place pour la formation et la sensibilisation des acteurs du BTP dans la transition vers une construction durable ?
Elle est essentielle. Les professionnels du secteur doivent être formés aux nouvelles techniques et matériaux. Aujourd’hui, le manque d’expertise locale limite l’adoption des innovations. Des programmes de formation continue et une mise à jour des cursus universitaires sont indispensables.En tant que chercheur, quel message souhaiteriez-vous transmettre aux décideurs du BTP marocain ?
Il faut investir dans la recherche et créer des passerelles solides entre l’université et le secteur de la construction. Les innovations existent, mais elles doivent être adaptées au contexte marocain. La durabilité dans le BTP ne sera pas atteinte uniquement par la technologie, mais par une vision stratégique et collaborative entre tous les acteurs.
Le Maroc commence à s’y intéresser, mais nous restons loin d’une démarche structurée. Dans beaucoup de projets, les déchets sont jetés sans tri ni recyclage. Pourtant, des matériaux comme les gravats, les résidus de béton ou même certains plastiques peuvent être revalorisés. Ce manque d’organisation s’explique par l’absence de filière industrielle dédiée et de cadre réglementaire imposant le tri et le réemploi.Des matériaux comme les fibres de basalte ou les composites recyclés sont en cours d’expérimentation. Peut-on les envisager à moyen terme dans nos projets ?
Pourquoi pas, mais il faut d’abord adapter ces solutions au marché local. Les matériaux innovants issus de fibres naturelles ou de recyclage sont encore peu accessibles au Maroc, en raison des coûts d’importation et du manque de recherche locale. Toutefois, avec un appui à la recherche appliquée et une volonté politique, leur développement est tout à fait envisageable.Le climat marocain impose des solutions spécifiques. Quels matériaux seraient les plus adaptés aux régions chaudes et sèches comme l’intérieur du pays ?
Des matériaux à forte inertie thermique, comme les blocs de terre stabilisée ou les briques alvéolaires, sont parfaitement adaptés. Ils permettent de garder la fraîcheur à l’intérieur des logements en limitant les besoins en climatisation. Malheureusement, ils sont encore marginalisés au profit de matériaux industriels moins coûteux, mais inadaptés thermiquement.Les technologies comme l’impression 3D du béton sont-elles envisageables au Maroc ?
C’est une technologie d’avenir, mais encore lointaine pour notre contexte. Elle nécessite un investissement important en machines, en formation et en ingénierie. En revanche, des projets pilotes pourraient être lancés pour explorer son potentiel, notamment pour des structures simples comme des logements sociaux ou des équipements publics.En matière de coûts, est-il réaliste d’intégrer ces matériaux innovants dans les logements destinés aux populations à revenus modestes ?
C’est tout le défi. La durabilité ne doit pas être un luxe. Cela suppose d’industrialiser certains procédés, d’encourager la production locale et surtout d’introduire des incitations fiscales ou des subventions ciblées. En parallèle, il faut penser le coût global du bâtiment, y compris l’entretien, l’énergie consommée, et non seulement le coût initial.Quels sont les avantages à long terme de ces innovations pour l’habitat social ?
Ils sont nombreux : une meilleure isolation thermique, donc moins de consommation énergétique, un meilleur confort acoustique, une réduction des maladies respiratoires liées à l’humidité… Et surtout, des logements qui durent plus longtemps avec un coût d’entretien réduit. Cela crée une vraie valeur sur le long terme, pour l’occupant comme pour l’État.Pour conclure, quelles seraient vos recommandations prioritaires pour intégrer durablement l’innovation dans le logement économique marocain ?